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Werner Meier, Délégué à l’approvisionnement économique du pays
L'approvisionnement économique du pays prétend prévenir, pas guérir
25.07.2022
Au tournant de ce siècle, la sécurité de l'approvisionnement était quasiment considérée comme allant de soi dans l’opinion publique et très peu de gens la remettaient en question. Mais la guerre russe en Ukraine a très vite changé cette optique. Une pénurie d'électricité et de gaz pour l'hiver prochain, perspective inquiétante pour de nombreuses entreprises et exploitations, n’est plus à exclure.
Dans notre pays, il incombe à l'économie de garantir la disponibilité des biens et des services. Ce n'est qu’à partir du moment où l'économie n'est plus en mesure de remplir cette tâche constitutionnelle que l'AEP (approvisionnement économique du pays) prend des mesures pour garantir la disponibilité en biens et services importants. Cet office n'intervient toutefois que si ces biens et services sont vitaux pour l'économie ou pour la population, si une pénurie effective se profile ou si elle survient de manière inattendue.
L'AEP s'occupe aussi bien de certains produits alimentaires de base que d’agents énergétiques et de produits thérapeutiques. S'y ajoutent les infrastructures d'approvisionnement telles que la logistique, les réseaux énergétiques ainsi que les technologies de l'information et de la communication (TIC), avec les services qui en dépendent. Pays pauvre en matières premières, la Suisse ne couvre que très rarement ses besoins de manière autonome et reste donc plus ou moins tributaire de l'étranger dans la quasi-totalité des domaines. Par exemple, elle abrite l'un des principaux sites de l'industrie pharmaceutique mondiale, mais beaucoup de matières premières et de substances actives pharmaceutiques qu’elle utilise sont importées. La rupture de stock d'un composant de médicament vital peut rapidement conduire à une situation de pénurie et mettre ainsi des vies en danger. Notre degré de dépendance vis-à-vis des produits importés est élevé, d’où le fait qu’en Suisse, les pénuries ne sont souvent pas "faites maison".
L’économie privée est toujours coresponsable
L'approvisionnement économique du pays veille à ce qu'il n'y ait pas de pénurie, ou à atténuer les effets d’une pénurie. Il réclame une coopération très étroite entre l'État et l'économie privée. Environ 250 experts issus de l'économie privée et de branches administratives spécialisées forment cette organisation de milice en mettant à son service leurs connaissances et leur expérience. Ils se répartissent par domaines : alimentation, énergie, industrie, produits thérapeutiques, logistique, TIC. Ils ont le soutien administratif et juridique de l'Office fédéral pour l'approvisionnement économique du pays (OFAE).
Le rythme soutenu de l’activité économique d’aujourd’hui impose que les systèmes d'approvisionnement vitaux et les infrastructures critiques soient mieux armés, grâce à des mesures préventives ciblées, pour affronter des situations de crise. En collaboration avec des entreprises et des associations de branches, l'AEP prépare des mesures destinées à améliorer la résilience. Dans certains domaines considérés comme vitaux par l’AEP, il est même possible d'obliger les entreprises à prendre des mesures préventives, telles la mise en place et l’utilisation de réserves obligatoires.
De la pénurie d'électricité redoutée à la crise énergétique
Au chapitre de la sécurité de l'approvisionnement, l’intérêt s'est principalement porté ces dernières années, suite aux avertissements formulés par l’ElCom pour 2025, sur l'électricité et les éventuelles ruptures d’approvisionnement ou instabilités du réseau. En hiver surtout, la charge de pointe ne peut pas être suffisamment couverte par la production nationale, car c’est la période de l’année où la consommation est la plus forte alors que la production des centrales hydroélectriques est la plus faible.
La guerre en Ukraine a aggravé la situation. Ce n'est plus seulement la pénurie d'électricité qui menace pour 2025, ce sont des pénuries de presque toutes les sources d'énergie qu’il s’agit d’éviter pour l'hiver prochain. Il est probable que le gaz devienne une denrée rare, du fait que la Russie serre déjà ce robinet. Or, puisque le gaz sert à produire de l'électricité en bien des endroits, il faut aussi prendre des dispositions pour l'électricité, d'autant plus que près de la moitié des centrales nucléaires en France sont hors service pour raisons techniques, ce qui rend plus difficile les achats d'électricité auprès de nos voisins. Il faut éviter les contingentements, voire, dans le pire des cas, les fermetures d'installations fonctionnant à l'électricité ou au gaz, ce à quoi les fournisseurs d'électricité et de gaz travaillent d'arrache-pied cet été.
Prévenir et ne rien laisser au hasard
Pour l'instant, nous devons envisager toutes les éventualités afin d'être prêts pour l'hiver prochain. Nous avons appris pendant la pandémie que dans une situation d'urgence, chaque pays se préoccupe d'abord de son propre bien-être. Certes, les uns et les autres ont dénoncé après coup un manque de solidarité, mais rien ne nous assure que face à une nouvelle situation d'urgence et de pénurie, des barrières ne se dresseront pas de nouveau aux frontières. Pour cette raison, les spécialistes de l'organisation AEP préparent des concepts de gestion comportant des mesures plus ou moins radicales pour l'économie, tout en espérant qu’il ne sera pas nécessaire de les mettre en œuvre.